La politique de la sobriété foncière en Guadeloupe : de la controverse aux jeux d’acteurs formés autours de la renaturation des sols artificialisés

Réalisation : Juliette Nervet, avec les données Bd-alti de l’IGN, fond de carte OSM.

Territoire soumis à de multiples contraintes dues à son insularité et aux nombreux aléas naturels (Benitez, 2018), l’aménagement de la Guadeloupe rencontre des problématiques foncières multiples et complexes, au sein desquelles l’habitat constitue un enjeu rendu particulièrement vif par le passé historique de l’île (Baronnet, 2019). En parallèle, l’artificialisation des terres, plus forte dans les DOM qu’en hexagone, augmente la vulnérabilité de ces espaces (Béchet et al, 2017), tout particulièrement sur les littoraux soumis au recul du trait de côte et à de nombreux aléas climatiques et telluriques.

Formalisé par la Loi Climat & Résilience de 2021, le ZAN s’applique à l’ensemble des territoires français selon un principe d’égalité de traitement. Cependant, l’absence de prise en compte des spécificités de chaque territoire peut sembler inéquitable voire injuste pour de nombreux acteurs C’est le cas dans les DOM, pour le moment non soumis à des objectifs chiffrés contraignant de réduction de leur artificialisation des sols.

Face à une pression foncière complexe, la renaturation, présentée dans la logique du déploiement du ZAN comme une mesure compensatoire, pourrait contribuer à une forme de justice spatiale, dans le cas où elle permettrait aux populations installées dans des espaces soumis aux aléas d’être relogés dans des logements salubres et à moindre risque. En effet, depuis 2012, la stratégie nationale pour la gestion du trait de côte propose une relocalisation des activités et biens menacés dans des zones moins vulnérables. Cette relocalisation a plusieurs avantages (Esteves, 2014). En particulier, elle propose une gestion des risques dite “fondée sur la nature”, moins coûteuses et adaptables aux différentes situations côtières. En ce sens, la Guadeloupe apparaît alors comme un laboratoire de justice spatiale et environnementale en contexte ZAN. Certains acteurs, comme l’Etablissement Public Foncier Terres Caraïbes, expérimentent déjà des projets de renaturation, comme le projet « Emergence » en cours sur la commune littorale de Deshaies.

Toutefois, les opérations de relocalisations se heurtent parfois à l’acceptabilité des populations locales, en particulier à leurs disposition et possibilités à changer de lieu de vie (attachement à la terre, moyens financiers et physiques…). Or, les espaces libérés de l’emprise humaine en raison des périls qu’y fait peser le recul du trait de côte pourraient être réappropriés par ces mêmes populations (Ejderyan, 2009 ; Germaine, 2021) par le biais de l’installation d’infrastructures de conservation et de mémoire du risque et de protection de l’environnement (repères de crues, observatoires de biodiversité, sentiers limitant le piétinement des espaces littoraux…). D’autres espaces, selon les besoins du territoire, pourraient avoir un objectif social et protecteur, comme peut l’être par exemple un terrain de foot en zone inondable. Cette renaturation complexe, en impulsant de nouvelles logiques d’aménagement des territoires locaux guadeloupéens, pourrait en outre donner naissance à de nouvelles alliances entre acteurs du territoire, formées par des intérêts communs autours des projets de renaturation.  

Réalisation : Juliette Nervet avec les données Bd_Cartode l’IGN, GéoRisques et GéoLittoral, fond de carte OSM.

Au cours de ses travaux sur la Guadeloupe, le projet RésiZAN s’interroge ainsi sur le sens donné à la renaturation (entre verdissement et écologie de la renaturation, Deboeuf et al, 2022), sur son acceptabilité par les différents acteurs de l’aménagement du territoire, et sur la recomposition des jeux de pouvoir que la notion introduit. L’analyse de la littérature préexistante, des données de géopolitique locale (Subra, 2008) et d’artificialisation permettent de dresser un diagnostic territorial propre à la Guadeloupe, que l’équipe RésiZAN propose de spatialiser le long d’un transect.

Bibliographie

• Baronnet, Juliette. « Les figures du mal-logement dans les Outre-mer (I). Les oubliés de l’action publique », Recherche sociale, vol. 232, no. 4, 2019, pp. 4-119.
• Béatrice Béchet, Yves Le Bissonnais, Anne Ruas, Anne Aguilera, M. André, et al.. “Sols artificialisés et processus d’artificialisation des sols : déterminants, impacts et leviers d’action”. Rapport INRA. 2017, 609 p.
• Benitez Fanny. (2018). Faire face ou vivre avec les catastrophes ? Capacités d’adaptation et capabilités dans les trajectoires de résilience individuelles et territoriales au sein de l’espace Caraïbe, thèse de doctorat, Université Paul Valéry Montpellier 3.
• Deboeuf De Los Rios, G., Barra, M., Grandin., G. 2022. Renaturer les villes. Méthode, exemples et préconisations. ARB îdF, Institut Paris Region.
• Ejderyan, O “Une renaturation en béton!: comprendre la participation et la nature dans les renaturations de cours d’eau suisses au regard d’une théorie de la pratique: Rhone-Thur Projekt.” Zürich:
• Esteves, L.S. (2014). Managed realignment: a viable long term coastal management strategy. Spring Briefs in Environmental Science. Springer.
• Marie-Anne Germaine, Kevin de la Croix et Elise Temple-Boyer, “Restaurer n’est pas éduquer”, Education relative à l’environnement, 2021.
• Philippe Subra, “L’aménagement, une question géopolitique !”, Hérodote, Editions la découverte, n°130, p.220-250, 2008.

Texte réalisé par Juliette Nervet en juin 2024 sur la base d’un stage au sein du projet RésiZAN et de l’EPF Terres Caraïbes.

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