Les Antilles françaises en perspective ZAN : dynamiques démographiques et immobilières en Guadeloupe et Martinique
Synthèse de trois études flash – Septembre 2024
La Guadeloupe et la Martinique font actuellement face à des enjeux démographiques, territoriaux et immobiliers importants. La recrudescence des aléas climatiques, le recul du trait de côte ainsi que la mise en place future du ZAN (zéro artificialisation nette), vont réduire à moyen et long termes la surface constructible et fortement impacter la capacité des Antilles françaises à répondre aux enjeux de leur aménagement. Pour poser les jalons d’une réflexion sur les enjeux démographiques et immobiliers des Antilles françaises en perspective ZAN, l’équipe RésiZAN publie, en collaboration avec le département de gestion et finance de l’Université de Paris Dauphine-PSL, une succession de trois études flash sur les dynamiques démographiques, résidentielles et immobilières (commerces et bureaux) en Guadeloupe et en Martinique, synthétisées dans un nouveau rapport disponible ci-dessous en open access.
L’étude de l’évolution des prix de l’immobilier commercial en Guadeloupe et en Martinique représente un défi étant donné le faible volume d’information disponible et les pratiques des acheteurs qui vont plutôt privilégier des détentions de longues durées. Pour les bureaux, les marchés sont très concentrés : dans la communauté d’agglomération de Cap Excellence en Guadeloupe (par exemple dans la zone de Jarry) ; dans la communauté d’agglomération du centre de l’île pour la Martinique (notamment dans la commune de Fort-de-France). En ce qui concerne les commerces, on observe aussi un effet de concentration des parcs dans ces deux territoires mais cet effet est plus faible que pour les bureaux.
Figure 1 : Evolution des prix des bureaux et des commerces entre 2011 et 2022.
L’étude de l’évolution des prix et des volumes de mètres carrés échangés suggère un accroissement de l’activité de transaction au milieu de la décennie 2010. Ce phénomène pourrait être dû à la livraison de nouveau parcs de bureaux mais est aussi concomitant du début du programme de quantitative easing mené par la banque centrale européenne. Cet accroissement très fort des prix tend à questionner le rôle des politiques monétaires européennes sur les territoires ultrapériphériques de l’Union. La littérature tend plutôt aujourd’hui à montrer que les liquidités excédentaires se concentrent principalement dans les grands marchés d’Europe de l’Ouest, en particulier dans les métropoles allemandes. Néanmoins certains marchés dit « périphériques » pourraient aussi être amenés à capter des liquidités significatives par rapport à leur taille, ce qui pourrait avoir causé un renchérissement du prix de l’immobilier : la question se pose pour les Antilles françaises.
Figure 2 : Evolution annuelle de la quantité totale de mètres carrés échangés en Guadeloupe (en haut) et Martinique (en bas).
Synthèse d’une étude flash réalisée en septembre 2024 par Jérôme PICAULT.
La Guadeloupe est un territoire encore jeune, mais qui vieillit très rapidement. En 2020, selon l’INSEE, les moins de 25 ans y étaient 31,5 % plus nombreux que les plus de 65 ans. Au cours des vingt dernières années, l’île a toutefois connu un vieillissement particulièrement rapide de sa population. En 2006, alors qu’elle était encore le 6ème département le plus jeune de France, elle apparait en 2020 comme plus âgée que la moyenne nationale. S’il a débuté d’abord dans les communes les plus périphériques, ce vieillissement s’observe à présent dans tout le territoire, y compris autour de Pointe-à-Pitre et de la communauté d’agglomération de CAP Excellence qui forment le principal centre urbain de l’île.
Cartes 1 : Cohorte d’âge dominante de la population résidente en 2006, 2014 et 2020 – Guadeloupe
Source : Mathieu OBERTELLI, données recensement INSEE 2023, zonage à la commune
La situation est encore plus marquée en Martinique. Les moins de 25 ans y restent 20 % plus nombreux que les plus de 65 ans, mais l’île aux fleurs fait face à un fort vieillissement de sa population. Si en 2006, le territoire était plus jeune que la moyenne nationale, malgré les communes situées au nord de Fort-de-France qui avaient déjà une population plus âgée, dès 2014, la situation était analogue à celle de la Guadeloupe… de 2020 (soit avec six ans d’avance sur « l’île Papillon »). La Martinique souffre en outre d’un ratio d’actifs par retraité inférieur à la moyenne nationale (respectivement 2,0 actifs pour 1 retraité contre 2,1 en hexagone), ce qui n’est pas encore le cas en Guadeloupe (2,2). Là encore, ce vieillissement de la population est généralisé dans toutes les communes de l’île.
Cartes 2 : Cohorte d’âge dominante de la population résidente en 2006, 2014 et 2020 – Martinique
Source : Mathieu OBERTELLI, données recensement INSEE 2023, zonage à la commune
Contrairement aux Antilles, la Guyane est, quant à elle, dans une situation totalement inverse. Avec une population des moins de 25 ans 65 % supérieure à celle des plus de 65 ans, la Guyane est, en 2020, le département le plus jeune de France en 2020. Il est même plus jeune en 2020 qu’en 2014, et son profil démographique est similaire à celui de la Guadeloupe… de 2006 !
Toutefois, les deux régions des Caraïbes comme celle de la Guyane font face à un défi commun. Elles perdent toutes plus de résidents qu’elles n’en gagnent entre 2014 et 2020, du fait d’un exode très net des 20-45 ans. C’est d’ailleurs ce phénomène qui fait mathématiquement augmenter si rapidement les indicateurs de vieillissement de la population en Guadeloupe et en Martinique, dont les soldes naturels, bien que positifs, ne permettent pas de compenser cette perte de population. De surcroît, la Guadeloupe et la Martinique ont des taux d’inactifs et de chômeurs largement au-dessus de la moyenne nationale (respectivement 25 % et 22 % contre 17 %) – la Guyane est dans une situation encore plus préoccupante avec un taux d’inactivité de 44 %.
Tab.1 : Evolution de la population entre 2014-2020
Densité 2020
Indice de vieillissement 2020
TCAM de la population entre 2014 et 2020
Solde naturel Entre 2014 et 2020
Solde migratoire Entre 2014 et 2020
Guadeloupe
235,5
68,5
-0,7%
0,3%
-1,0%
Martinique
320,2
79,8
-1,0%
0,2%
-1,2%
Guyane
3,4
11,7
2,1%
2,5%
-0,4%
France
106,2
67,3
0,3%
0,3%
0,0%
Source : calculs M. Obertelli sur la base des données Insee 2023
Notesde lecture du tableau :
TCAM = Taux de croissance annuel moyen
Indice de vieillissement = (Nombre de plus de 65 ans / Nombre de moins de 25 ans)*100
La Guadeloupe et la Martinique font actuellement face à des enjeux immobiliers importants. Le recul du trait de côte, ainsi que la mise en place future du ZAN (zéro artificialisation nette, qui prévoit une réduction de la construction sur des sols non artificialisés à partir de 2030, puis une interdiction à partir de 2050), vont réduire à terme la surface constructible, et donc l’offre de logements disponibles. À ces enjeux environnementaux se rajoutent certains problèmes historiques, notamment celui du vieillissement généralisé du bâti.
Maisons à Pointe-à-Pitre, mai 2024 (Source : Eric Stimpfling, France info)
Cette raréfaction de l’offre interroge dans un contexte d’inflation immobilière soutenue. En 12 ans, le prix des appartements a augmenté de 60% à Basse-Terre et de 43% à Grande-Terre. Le prix des maisons a quant à lui augmenté de 195% à Basse-Terre, et de 177% à Grande-Terre sur la même période. En Martinique, à l’inverse de la Guadeloupe, l’inflation immobilière semble plutôt gagner les appartements que les maisons. En 12 ans, le prix des appartements y a augmenté de 70%, contre 20% pour les maisons dans le nord et le centre de l’île, et de 30% dans le sud.
Graphiques n° 1 et 2 : Évolutions des prix à Grande-Terre et Basse-Terre entre 2010 et 2022, indice base 100 2010, pour les appartements (à gauche) et les maisons (à droite)
Graphiques n° 3 et 4 : Évolutions des prix au Nord-Centre et au Sud de la Martinique entre 2010 et 2022, indice base 100 2010, pour les appartements (à gauche) et les maisons (à droite)
Dans ce cadre de raréfaction de l’offre et d’inflation immobilière importante, repenser la politique du logement en Guadeloupe et en Martinique semble être fondamental. Avec 50% des propriétaires qui ont 70 ans ou plus, les deux îles semblent être un bon terrain pour le viager, sous-utilisé en France.
Synthèse d’une étude flash réalisée en mars 2024 par Guillaume Toussaint, doctorant à l’Université Paris Dauphine PSL, intitulée “Dynamiques de prix en immobilier résidentiel en Guadeloupe et en Martinique”.
